Biologiste et chimiste de formation, journaliste par vocation et aujourd’hui vice-présidente du Parti Libéral, Corina Fusu semble vaillamment relever chaque nouveau défi se présentant sur son parcours. Mère de trois enfants, elle incarne une nouvelle génération de femmes moldaves, modernes, dynamiques et dotées d’un caractère bien trempé.
Connue du public pour ses talents de présentatrice télé, elle a abandonné le milieu journalistique pour embrasser celui de la politique. Un choix difficile, pas toujours approuvé par le public et des raisons liées à l’évolution politique de son pays. Comme une sorte de bilan de son parcours, elle nous livre son témoignage, nous révélant d’autres facettes de la Moldavie.
M. R. Vous avez animé pendant près de quatre ans une émission culturelle franco-moldave. Aujourd’hui vous proposez de répondre à nos questions en français et votre niveau s’avère très correct. Quels sont vos liens avec la France ?
C. F. J’ai toujours eu une sorte d’admiration pour la France. Cette admiration a grandi en moi au fur et à mesure des épreuves que j’ai eu à traverser et des gens que j’ai pu rencontrer et qui m’ont aidée. Comme beaucoup de Moldaves, j’ai fait mes études au lycée francophone Gheorghe Asachi à Chisinau. J’ai eu des professeurs qui m’ont fait aimer la littérature française et apprécier la richesse de son vocabulaire. Ils m’ont aussi appris l’alphabet latin, ce qui était contraire aux habitudes de l’époque, puisque la langue roumaine s’écrivait alors en cyrillique. C’était une langue très pauvre, enrichie aujourd’hui en puisant de nombreux mots dans le vocabulaire français.
Après avoir terminé mes études de biologie à Moscou, j’ai décidé de me réorienter et de passer un concours à la télévision d’Etat. Les débuts dans le journalisme ont été très difficiles car j’ai été confrontée à la rigueur politique du gouvernement communiste alors au pouvoir. Celui-ci piétinait la liberté de la presse et plusieurs émissions que je souhaitais présenter ont été censurées. À nouveau le français m’a aidée en quelque sorte, lorsqu’en 2000, avec l’aide financière de trois coopérateurs francophones qu’étaient l’ancienne ambassadrice de France en Moldavie, Dominique Gazuy, l’ancien directeur de l’Alliance Française, Georges Diener et l’ancien directeur régional de l’Agence Universitaire de la Francophonie Bernard Vanthomme, j’ai commencé à animer l’émission „La Francosphère“. Celle-ci revêtait deux dimensions : promouvoir la francophonie en République de Moldavie et relater les différents événements culturels organisés par l’Alliance Française. Pour ma part, j’étais responsable de la coopération internationale entre les différents acteurs ainsi que d’organiser et animer les reportages.
Toutes ces rencontres m’ont ouvert de nouveaux horizons : je me suis rendue en France afin d’effectuer des stages ; l’un auprès de France 2 en 1999 et l’autre de manière échelonnée à l’école supérieure de journalisme de Lille. J’y ai découvert le sens réel des mots „démocratie“ et „liberté de pensée“.
M. R. En 2007, vous avez intégré le conseil municipal de Chisinau. Depuis, vous ne cessez de vous impliquer davantage dans la politique. Pourquoi ce brusque changement ?
C. F. À force de subir une situation allant à l’encontre de nos droits, on finit par vouloir se révolter, animé d’une volonté de changer les choses. Face à cela chacun réagit différemment. Certains changent de métier, d’autres quittent le pays. Pour ma part, j’ai décidé d’intégrer la sphère politique et c’est le Parti Libéral qui m’a ouvert les bras. Suite aux grandes manifestations contre la censure de la presse en 2002 et 2004, nous avons réussi à imposer au Parlement une loi concernant l’audiovisuel dans le secteur public, première loi de ce genre votée dans un pays de l’ex-URSS. Les journalistes ont été très actifs dans cette lutte, constituant à mes yeux la seule catégorie de la population à avoir osé s’opposer au régime.
En 2002, nous avons aussi déposé un dossier devant la CEDH ayant abouti en 2010 à une condamnation de la Moldavie et introduisant pour la première fois dans le vocabulaire juridique la notion de censure. Ces deux événements ont marqué une étape décisive dans ma carrière. Ils m’ont aussi permis de rencontrer deux personnalités politiques m’ayant énormément soutenue. La première est Josette Durrieu, rapporteur principal du Conseil de l’Europe pour la République de Moldavie, le second est Dorin Chirtoaca, ancien membre du Comité d’Helsinki pour la défense des Droits de l’Homme, aujourd’hui maire de Chisinau et vice-président du Parti Libéral. Ainsi, lorsque ce dernier m’a proposé en 2007 de m’inscrire sur les listes de son parti pour les élections municipales, j’ai accepté. Ce fut une décision douloureuse, car elle impliquait d’abandonner ma carrière de journaliste. Aujourd’hui je ne regrette pas mon choix. Dorin Chirtoaca incarne pour moi le prototype d’une nouvelle génération dotée d’une mentalité européenne et ouverte, méritant d’être soutenue.
M. R. Sans entrer dans le débat partisan et les idées propres au Parti Libéral, comment décririez-vous la situation politique actuelle de la Moldavie ?
C. F. C’est une question difficile car la situation actuelle, que l’on pourrait qualifier de complexe et instable, ne peut être comprise qu’au regard des circonstances historiques. La Moldavie est un pays en pleine transition et sa situation politique a évolué entre les scrutins de 2009 et 2011. En 2009, la population était désespérée, fatiguée du pouvoir instauré par Voronin au sein duquel régnait pauvreté et terreur. Les partis membres de l’Alliance pour l’Intégration Européenne ont donc remporté les élections en recourant simplement à la technique du « porte à porte », c’est à dire en discutant avec les gens.
Aujourd’hui, suite aux événements d’avril et aux élections parlementaires de 2009, la population se retrouve divisée en deux : d’un côté - les jeunes, roumanophones et pro-européens, adhérant aux partis de droite ; de l’autre - les russophones, pro-Kremlin et nostalgiques du temps passé, plus favorables aux partis de gauche. Les deux camps se livrent une guerre ethnique profonde, animée de préjugés. En effet, pour les uns la Russie s’apparente au régime totalitaire communiste, tandis que pour les autres, la Roumanie est un pays fasciste, descendant des théories hitlériennes.
Cette société divisée en deux occasionne de nombreux problèmes, notamment l’impossibilité d’élire un nouveau Président. Depuis l’indépendance de la République de Moldavie en 1991, nous n’avons pas eu la chance d’avoir de vrais hommes d’État, agissant dans l’unique intérêt du pays et non pour ses propres intérêts. Ce manque de vision politique axé sur l’intérêt national provoque l’enlisement de la situation politique. Actuellement, il est question de modifier l’article 78 de la Constitution par référendum, afin de simplifier la procédure d’élection présidentielle. Les partis de l’Alliance sont favorables, car ils considèrent la deuxième option, que représentent les élections anticipées, comme dangereuse.
Pour ma part, la seule solution me semblant réellement valable est l’adhésion de la Moldavie à l’Union Européenne. En effet, si l’espace européen n’est pas parfait en tous points, il prône néanmoins des valeurs encore inconnues ou non respectées en Moldavie. Là-bas, les droits de l’homme sont globalement respectés, la justice existe et est applicable à tous, la corruption est minimalisée, les médias sont professionnels et il existe du point de vue économique une classe moyenne capable de faire davantage que survivre, ce qui n’est pas le cas en Moldavie où celle-ci ne représente que 3% de la population.
M. R. Actuellement vice-présidente du Parti Libéral et présidente de l’Organisation des femmes libérales, vous cumulez des postes clés. Est-il facile d’être une femme politique en Moldavie ?
C. F. Comparée à la France, la société moldave demeure encore très masculine, notamment dans les villages. En politique, cette tendance se ressent et mon insertion dans la sphère politique s’est avérée difficile. Il m’a fallu expliquer à mes collègues que les femmes ont les mêmes droits et leur prouver que nos actions peuvent être complémentaires. C’est un travail quotidien, dont les fruits ne sont visibles qu’à long terme. Contrairement aux hommes, les femmes s’investissent davantage dans la vie sociale. Courageuses, travailleuses, intelligentes et responsables, elles sont aussi plus modestes que les hommes. Ce capital représente une force importante.
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