Expulsée de force sous la dictature
argentine, l'équipe de football de San Lorenzo s'apprête à
redevenir propriétaire de son ancien terrain, actuellement occupé
par la chaîne de supermarchés francaise Carrefour. La décision
émane du Parlement de Buenos Aires. Face à l'euphorie des
supporters, des contestations jaillissent et divisent le quartier du
Buedo à Buenos Aires.
Une „loi de restitution historique“
vient d'être adoptée à l'unanimité par le Parlement de Buenos
Aires, le 15 novembre dernier. Elle fait suite à un processus
législatif entamé il y a un an et demi et sonne la victoire des
supporters de San Lorenzo, lesquels attendaient ce moment depuis plus
de 33 ans. „Ce terrain était le nôtre, s'exprime Marcelo Tinelli,
vice-président du club. Il est temps qu'il le redevienne!“
Inauguré en 1916, le „Gasometro“
du quartier du Bodeo était le stade officiel ayant vu naître
l'équipe de ligue 1 de San Lorenzo. Pouvant accueillir jusqu'à 75
000 spectateurs, il s'était imposé comme le plus grand stade
d'Argentine, jusqu'à la reconstruction du stade Antonio Vespucio
Liberti, en vue de la coupe du monde de 78.
L'arrivée de la dictature en 1976 et
le „processus de Réorganisation National“ du pays sont venus
bouleverser l'avenir du club. Aménageant un vaste plan
d'urbanisation du quartier, le maire de l'époque, Osvaldo
Cacciatore, a ordonné l'expropriation du terrain. En 1979, la mairie
a ainsi acquis le stade pour une somme modique de 900 000 dolars
américains, avec pour objectif d'y construire des logements.
Finalement le projet a été abandonné, le stade détruit et le
terrain revendu une fois la démocratie revenue, à la société
Carrefour, pour une valeur neuf fois supérieure à son prix initial.
Pour le club, il s'agit d'un préjudice,
comme le rapporte le journal la nación. Depuis plusieurs
années, les supporters ont multiplié les tentatives pour récuperer
l'ancien terrain, allant jusqu'à manifester devant l'Ambassade de
France en mars dernier.
La loi, qui devait être débattue au
Parlement le 22 novembre, a finalement été promulguée avec une
semaine d'avance afin d'éviter une grande manifestation prévue par
les supporters. Selon les législateurs, elle s'inscrit dans le
respect de la Constitution de Buenos Aires, laquelle défend certes
le principe d'inviolabilité de la propriété privée mais autorise
l'expropriation lorsqu'elle est fondée sur une „cause d'utilité
publique“.
Le club doit maintenant racheter le
terrain à Carrefour à un prix estimé à 94 millions de pesos
argentins. Il dispose de six mois pour négocier les transactions
avec l'entreprise francaise et ne pourra entreprendre la
reconstruction du stade qu'à condition de garantir en échange des
activités sociales, éducatives et sportives aux habitants du
quartier. Selon le journal Clarin, les particuliers sont
autorisés à participer au rachat du terrain, ce qui donne lieu à
une véritable course aux mètres carrés. Pour les supporters les
plus optimistes, San Lorenzo devrait récuperer son ancien stade en
avril 2013.
Toutefois de nombreuses voix s'élèvent
contre le projet de reconstruction. En tant que premier acteur
impliqué, Carrefour s'est dit „extrêmement surpris par la
promulgation expresse de la loi.“ L'entreprise refuse toute
connection avec la dictature et souligne qu'elle „n'a pas été
invitée à participer aux dernières étapes précédant le vote.“
Implantée depuis 30 ans en Argentine et actuellement à la tête de
400 supermarchés, la chaîne aurait développé la marque à
l'étranger afin de compenser la diminution des ventes enregistrées
en Europe. Selon des experts financiers, les consommateurs européens
se réorienteraient en effet de plus en plus vers le commerce de
proximité.
L'expropriation de Carrefour du
quartier du Bodeo impliquerait la fermeture de la filiale et la mise
au chômage des 350 employés de l'entreprise. Depuis quelques
semaines, une pétition a été lancée par le personnel afin de
s'opposer au projet de délocalisation. Elle a déjà été signée
par de nombreux clients mais aussi par des membres du voisinage, qui
voient dans dans la reconstruction du nouveau stade un risque de
retour à l'insécurité et une augmentation de la violence dans le
quartier.
article publié sur le journal international
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