lundi 27 mai 2013

L'insécurité en Argentine, un phénomène plus que perceptible

Le thème de l'insécurité figure parmi les préoccupations permanentes des Argentins depuis des années. S'agit-il d'une sensation collective ou d'une réalité ? Selon un rapport publié en juillet 2012 par l'Organisation des États d'Amérique, l'Argentine serait le pays de la région enregistrant le plus grand nombre de vols commis. Retour sur un phénomène social et politique de grande ampleur. 


 
Les 17 heures affichées sur l'horloge annoncent la fin de la sieste. À Santa Fe, une ville avoisinant les 500 000 habitants, située au nord de Buenos Aires, les après-midis, encore chauds en ce début d'automne, sont très calmes. Comme chaque jour, les commerces réouvrent progressivement. Toutefois, beaucoup prennent soin de garder les grilles fermées et servent les clients à travers les barreaux. Cette mesure, de plus en plus appliquée par les commerçants, vise à empêcher les vols. Elle concerne aussi bien les bureaux de tabac que les marchands de fruits et légumes.

Parmi les quelques cents étudiants étrangers reçus en échange universitaire chaque semestre, 10% environ sont, ou ont été, victimes de vols, parfois précédés d'une agression. "Les apparences sont trompeuses, analyse l'une des étudiantes françaises. Face au calme et à la sympathie des gens, je me sens beaucoup plus en sécurité ici que dans certains quartiers dans lesquels j'ai pu vivre en France et où il ne m'est pourtant rien arrivée. Mais plusieurs personnes de mon entourage se sont déjà fait voler à Santa Fe : à vélo, en descendant du bus ou sous la menace d'un revolver alors qu'elles marchaient dans la rue. Ces incidents nous incitent à modifier notre comportement : sortir avec le moins d'affaires possibles, préférer emprunter les boulevards aux petites rues, se déplacer à plusieurs ou en taxi plutôt que marcher seuls deviennent des reflexes automatiques."

En Argentine, le problème de l'insécurité est pris au sérieux, constamment pointé du doigt par les médias et souvent présent au cœur des conversations. Selon le rapport de l'OEA, publié en juillet 2012, au moins une personne sur 100 serait victime de vol. Un chiffre deux fois supérieur à la moyenne générale, plaçant l'Argentine largement en tête devant le Brésil, le Chili, l'Uruguay et les Etats-Unis. Selon les conclusions présentées par l'OEA, le phénomène d'insécurité ne présente pas de relation directe avec le gouvernement, bien que les différents pouvoirs exécutifs de la dernière décennie n'aient pas été en mesure de résoudre la crise. Depuis 2000, l'Argentine apparaît comme le pays d'Amérique latine où sont commis le plus de vols, avec un pic entre 2002 et 2003, que les experts analysent comme la conséquence probable de la crise économique de 2001.

"Le vol ici, c'est un peu comme une sorte de loterie, commente un étudiant mexicain de sciences physiques. Se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Je me suis fait voler mon sac alors que je passais dans une rue très tranquille en plein après-midi. Je n'ai rien vu venir, habitué pourtant à être constamment sur mes gardes. Au Mexique, nous sommes aussi confrontés aux problèmes d'insécurité mais la violence là-bas se manifeste sous d'autres formes."

Pour Daniel Gallo, journaliste pour le quotidien La Nación, les hommes politiques ne prennent pas le phénomène suffisamment au sérieux. Les statistiques ayant permis d'établir le rapport, ont été fournies par chacun des pays membres de l'OEA en 2010. En Argentine, faute de décompte sérieux, elles remontent à 2008 et ne prennent en compte que les vols déclarés. À ceux-là doivent être ajoutés les nombreux "vols passés sous silence“, ne faisant pas l'objet de dénonciation à la police.

Selon un article paru dans le journal Clarin, le ministre de la Sécurité affirme que la quantité de vols a diminué en 2012, notamment dans la province de Buenos Aires. L'information est démentie par la presse, qui brandit le thème de l'insécurité comme attaque indirecte contre le gouvernement.

Dénoncé au cours des dernières manifestations organisées contre la présidente Cristina Kirchner, le sentiment d'insécurité ressenti par la population peut provenir de causes multiples. Comme le souligne Augustín Salvia, chercheur à l'observatoire de la dette sociale de l'Université catholique de Buenos Aires, le phénomène est certes réel, mais il est amplifié par le pouvoir médiatique et la mauvaise relation qu'entretiennent les Argentins avec les institutions publiques. Celle-ci se traduit essentiellement par une perte de confiance envers le gouvernement, mais aussi envers la police et le pouvoir judiciaire. À cela s'ajoute les difficultés économiques auxquelles le pays est confronté. Après plusieurs années de relance économique, l'inflation refait surface et le système monétaire flanche, creusant davantage l'écart entre les riches, les pauvres et les "nouveaux-pauvres".

Si le problème du vol préoccupe les Argentins, il doit cependant être analysé dans son contexte, sans tirer de conclusions hâtives et paranoïaques. Chaque pays possède sa propre forme de violence. Si l'Argentine semble souffrir du vol, le rapport de l'OEA la présente à l'inverse comme le pays montrant le plus faible taux d'homicides, se placant juste derrière le Canada, le Chili et les Etats-Unis. 
 
 
article rédigé par Marion Roussey, publié sur le Journal International

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