Le dollar américain devient une
monnaie rare en Argentine. Depuis fin 2011, le gouvernement a mis en
place une série de mesures draconiennes concernant les opérations
de change. Acheter des devises étrangères, voyager ou faire du
commerce à l'extérieur du pays font partie des actes quotidiens
devenus impossibles pour les argentins. Ces restrictions visent à
préserver les réserves monétaires destinées au remboursement de
la dette. Elles réactivent aussi le marché noir. Retour sur les
dérives économiques d'un pays se refermant peu à peu sur lui-même.
„Bonjour
Monsieur. Je suis de nationalité francaise et en vue d'un retour
prochainement prévu en Europe, je souhaiterais échanger mes pesos
argentins contre des euros. - Cela risque d'être impossible, répond
l'opérateur du bureau de change, d'un ton catégorique. L'achat de
devises étrangères a fait l'objet de restrictions. Vous avez deux
solutions : demander à
un argentin pouvant justifier de revenus, d'effectuer les démarches
à votre place ou bien dépenser votre argent avant votre départ.“
La scène parait incroyable, pourtant
elle est bien réelle. Depuis l'élection de Cristina Kirchner en
octobre 2011, l'Argentine a opté pour un durcissement de sa
politique monétaire. En juillet 2012, la Banque Centrale a supprimé
la possibilité d'acheter des devises étrangères, notamment le
dollar, souvent considéré par les argentins comme une „monnaie
refuge“. Ces restrictions répondent à des nécessités
économiques. Elles visent à rembourser la dette externe et sortir
l'Argentine de la dépendance financière au marché mondial.
Toutefois comme le souligne un article paru dans le Figaro,
elles réactivent le marché noir et vont à l'encontre de la libre
circulation des biens et des personnes.
Le dollar „blue“, pilier du
marché noir
Le dollar américain apparait comme la
monnaie de référence en Argentine. Il sert à effectuer les
échanges commerciaux à l'extérieur comme à l'intérieur du pays,
au sein des grandes entreprises industrielles et agricoles ainsi que
dans le secteur de l'immobilier. La redéfinition récente du système
monétaire a entrainé la multiplication des „cuevas“, bureaux de
change clandestins, qui gèrent l'achat et la vente de dollars en
parallèle du marché officiel. À côté du dollar blanc se
développe donc le dollar „blue“. Sa valeur dépend de l'offre et
de la demande, fixées généralement par les grands bureaux de
change, les sociétés en bourse et les informations parues dans la
presse.
Comme nous l'explique Alejandro
Rebossio, journaliste argentin, le schéma est simple : un
particulier souhaite vendre des dollars. Il se rend alors auprès
d'un cuevero, qui s'emploie à trouver un acheteur en passant par un
correto. Aucun des deux agents ne connait l'identité ni le lieu
géographique de l'autre. Ils communiquent par mail ou par téléphone
en reccourant à de faux noms. L'échange se réalise ainsi par leur
intermédiaire avec le prélèvement d'une commission au passage.
Les cuevas ou „grottes monétaires“
existent depuis les années 70 en Argentine. Elles se sont
multipliées avec la crise économique de 2001 et depuis le lancement
des réformes monétaires en octobre 2011, de nombreux opérateurs
financiers légaux ont développé un commerce parallèle, souvent
pour satisfaire les demandes de leurs propres clients. Comme le
souligne un article paru dans le journal la nacion, ceux-ci
proviennent majoritairement de la classe aisée, rattrappée ces
derniers temps par la classe moyenne.
Le marché du dollar blue se développe
à mesure que l'Etat ferme progressivement l'achat des devises
étrangères. Entre octobre 2011 et avril 2012, le gouvernement
autorisait les salariés à acheter des dollars s'ils pouvaient
justifier leurs revenus. Beaucoup les revendaient alors sur le marché
parallèle, touchant parfois un bénéfice de 30% du montant initial.
Cependant depuis mai 2012, le gouvernement a retiré cette
possibilité et autorise l'acquisition de devises étrangères
uniquement dans le cas de voyages à l'étranger.
Acheter et voyager à l'étranger,
des droits restreints, bientôt supprimés?
Nico est un étudiant argentin qui
s'apprête à effectuer un semestre d'échange universitaire au
Chili. Il bénéficie pour cela d'une bourse d'études. Un montant
versé sur son compte en banque, qu'il ne pourra cependant pas
retirer durant son séjour au Chili. La Banque Centrale a en effet
annoncé une nouvelle restriction le lundi 11 mars dernier. À
compter du 3 avril, les argentins voyageant à l'extérieur du pays
ne pourront retirer de la monnaie étrangère que s'ils disposent
d'un compte bancaire en devises en Argentine ou dans le pays dans
lequel ils séjournent.
Confronté à cette nouvelle situation,
Nico a tenté de changer des pesos afin d'emporter de l'argent
liquide, dont le seuil maximum actuellement autorisé aux voyageurs
s'élève à 10 000 dollars américains. „Je me suis rendu à
L'AFIP, explique Nico. L'Administration Fédérale des
Recettes Publiques est l'organisme sanctionnant ce genre
d'opérations. J'ai du remplir un formulaire comportant de nombreux
renseignements sur les motifs de mon voyage. Finalement ma demande a
été refusée car en tant qu'étudiant je ne percois pas de
revenus.“ Pendant les quatre prochains mois, l'étudiant pourra
donc effectuer des achats par carte bancaire mais il ne pourra pas
retirer de pesos chiliens. „Je ne sais absolument pas comment je
vais faire pour payer le loyer, raconte l'argentin. Sur les forums,
certains vont jusqu'à conseiller de payer par carte bancaire les
achats des consommateurs dans les supermarchés afin de récupérer
en échange leurs billets liquide!“
Le billet d'avion également
soumis à conditions
À la douane, les contrôles se sont
également renforcés. Le Président de l'AFIP, Ricardo Echegaray
avait annoncé la nouvelle mesure à la radio en septembre dernier.
L'administration demande aux touristes argentins de déclarer leurs
achats effectués à l'étranger. Ils doivent remplir un formulaire
détaillant la valeur de ceux-ci. Si le montant total dépasse les
300 US$ autorisés, ils se verront infliger une taxe correspondant
aux 50% du surplus. Celle-ci s'ajoute à la taxe anticipée, valable
pour chaque achat effectué à l'étranger par carte bancaire et
correspondant à 20% du montant de l'achat.
Depuis le 18 mars dernier, la taxe
anticipée concerne aussi les billets d'avion et excursions
touristiques. Ainsi, un argentin qui réserve un vol par internet
auprès d'une compagnie étrangère la paiera 20% plus cher que le
prix indiqué. S'il achète au cours de son voyage un ordinateur d'un
montant de 500 US$ (environ 400 euros), il devra acquiter une taxe de
douane de 100 US$.
Ces „nouveaux impôts“ peuvent
paraitre démesurés. Ils visent à réguler le marché interne et
empêcher la fuite des capitaux. Avec les phénomènes croissants
d'inflation et la politique de limitation des importations, de
nombreux argentins voyagent en effet pour des raisons économiques.
Ils se rendent dans les pays limitrophes, tels que le Paraguay,
l'Uruguay ou le Brésil, pour y acheter des produits cosmétiques,
technologiques ou électro-ménagers réputés bien moins chers.
Au casino, on ne joue pas, on
achète des dollars
Le 14 mars dernier, la Banque Centrale
a mis en place une mesure afin de bloquer les achats de jetons de
casino effectués par carte bancaire et empêcher ainsi les usagers
de les échanger contre les précieux billets verts. Selon un article
paru dans le journal Clarin, les argentins se voient ainsi
„retirer l'une des dernières options légales pour obtenir des
dollars à l'étranger“. Au cours de ces derniers mois, les douanes
argentines enregistraient en effet une multiplication des voyages à
destination de Colonia, Montevideo ou Punta del Este en Uruguay. Les
argentins s'y rendaient munis de leur carte bancaire, achetaient des
jetons de casino mais au lieu de les jouer, ils allaient les échanger
contre des dollars. Cette stratégie est maintenant retirée de la
règle du jeu. La Banque Centrale exige à présent que les
titulaires de la carte de crédit demandent au préalable une
autorisation pour effectuer ce genre d'opérations. „Ils seront
alors informés de l'acceptation ou du refus de leur demande“,
précise la directrice de la Banque Centrale Mercedes Marco del Pont.
En fermant ses frontières,
l'Argentine joue à quitte ou double
La politique monétaire menée par le
gouvernement kirchneriste depuis 2011 pourrait avoir de lourdes
conséquences sur l'économie argentine. Selon le journal altonivel,
elle pourrait „ affecter les exportations, freiner les
investisseurs et augmenter l'inflation“. Depuis la crise économique
de 2001, l'Etat a renforcé son intervention dans le marché
financier. La Banque Centrale achète des dollars américains pour
augmenter ses réserves et éviter ainsi la volatilité du peso. Les
restrictions imposées visent par ailleurs à péréniser une image
de stabilité monétaire, mettant fin à l'obsession des argentins
pour la monnaie américaine, dans un pays sortant d'une longue série
de dévaluations et soumis à un important phénomène de fuite des
capitaux. Celle-ci aurait atteint selon la Banque Centrale, le
chiffre reccord de 21 504 millions de dollars en 2011, soit une
augmentation de 88% par rapport à 2010. Comme le rapporte le journal
la nacion, l'AFIP tente en effet de former un accord avec
Panama, pays percu comme un paradis fiscal et aujourd'hui convoité
par de nombreuses entreprises argentines. Toutefois les restrictions
monétaires ne peuvent être analysées comme un simple phénomène
de protectionnisme économique ou de nationalisme politique. Selon le
journal Herald, la situation est plus complexe. L'Argentine
semble vouloir s'isoler du reste du monde. Elle cherche à retrouver
une indépendance économique. En tant que pays producteur de
matières premières et soumise aux importations de combustible de
plus en plus chères, elle reste dépendante du marché financier
mondial. Le remboursement de la dette, précondition imposée par le
Club de Paris est le sésame permettant l'accès aux marchés de
capitaux mondiaux.
article rédigé par Marion Roussey et publié sur le journal international
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