La gastronomie argentine est réputée pour la qualité de sa viande.
Sa renommée, élevée au rang international, provient de la façon de
cuisiner mais aussi de la manière d'élever les bovins. A Villa Clara,
petit village de la province de Entre Rios, le Journal International est
allé à la rencontre de Abraham Sterin, éleveur de bovins et descendant
d'une famille d'immigrés juifs. Il nous révèle son savoir-faire et nous
dévoile à travers son récit un autre visage de l'Argentine.
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Posté devant la porte, l'oeil vif et le
visage marqué par le temps, Abraham nous accueille avec un sourire et
nous fait signe d'entrer. Dans la cuisine, sa femme Anita a préparé un
pastel de carne (gateau de viande) et des knishes, spécialités juives
dont elle seule connait la recette. Abraham et Anita ont toujours vécu à
Villa Clara. Après avoir entrepris des études à Buenos Aires, il est
revenu vivre dans la province d'Entre Rios pour poursuivre l'activité de
son père, tombé malade. Il reprend ainsi le flambeau de trois
générations : l'élevage de bovins. Un métier menacé de disparaitre en
Europe, remplacé par l'élevage intensif, mais qui demeure ici encore
bien présent, ancré dans la tradition argentine et l'héritage yiddish.
Comme chaque matin Abraham s'est levé avant
le soleil. Il s'est préparé un grand thermos de maté, indispensable
pour effectuer le travail dans les champs. Accompagné de Ruben son fils
et de ses deux employés, il inspecte son troupeau, reparti sur 500
hectares de terrain qu'il parcourt à cheval. Les taureaux sont séparés
des boeufs, des veaux et des vaches. Achetés ou vendus chaque année à la
foire, ils déterminent par leur race, le type et la qualité de la
viande. Ainsi les vaches appartenant aux catégories telles que Angus,
Hereford ou encore Jersey présenteront des caractéristiques spécifiques,
bien différentes des vaches laitières que l'on connait en France.
Importés au même titre que les chevaux par les pionniers européens, les
bovins ont connu un climat et des techniques d'élevage différents de
leurs cousins du vieux continent. Cela explique aujourd'hui leur
spécificité. Parmi le troupeau d'Abraham, certains boeufs peuvent peser
jusqu'à 700 kgs. Ils seront destinés à l'exportation ainsi qu'à la vente
au niveau national. Malgré une diminution récente, la consommation de
viande des argentins demeure impressionnante, avec près de 52 kg par
personne et par an, soit une quantité cinq fois supérieure à celle des
français.
Toutefois depuis 2006, l'industrie bovine
argentine traverse une crise économique importante. Baisse de la
production, augmentation des prix et diminution de la demande en sont
les principales causes. Elles rendent la vie dure aux éleveurs et
agriculteurs. Pour Abraham, ce phénomène est du à la politique
protectionniste menée par Nestor puis Cristina Kirchner, successivement
au pouvoir depuis 2003. « En fermant les frontières, le gouvernement
prive l'Argentine d'accès au marché mondial. L'agriculture et l'élevage,
ayant autrefois fait la richesse du pays, cessent d'être rentables. Les
champs sont abandonnés au profit des villes et les troupeaux remplacés
par la culture intensive du soja. Depuis 2001, les impôts ne cessent
d'augmenter et l'argent que les agriculteurs gagnent est volé par l'Etat
qui remporte des voix électorales à coup de mesures sociales.»
Afin de nourrir son bétail, Abraham doit
faire des réserves annuelles de foin, de seigle et de maïs. Il utilise
pour cela de nombreux engrais et pesticides, provenant notamment de
l'entreprise Monsanto. « Les conditions de travail étaient bien plus
pénibles avant, confie-t-il. Aujourd'hui le tracteur a remplacé le char à
boeuf. Le travail n'est pas plus facile pour autant mais la relation
entre l'homme et la terre a changé! » A 80 ans, Abraham continue de
travailler. « Le travail, explique-t-il, c'est la vie, c'est la santé.
Quand on a ces trois éléments, on ne les garde pas, on les réinvestit! »
Sa voix se tinte alors de nostalgie et une
lueur anime son regard. Il se remémore des moments de son enfance et de
sa famille, allant jusqu'aux origines de Villa Clara. Celles-ci
remontent à la fin du 19ème siècle lorsque les premiers immigrants issus
d'Europe orientale sont venus s'installer dans la région. Venus de
divers pays tels que la Russie, la Pologne, la Hongrie ou l'Ukraine, ils
avaient en commun la même religion : le judaïsme. Fuyant le régime
militaire et les persecutions religieuses qui éclatent suite à
l'assassinat du Tsar Alexandre II de Russie en 1881, leur immigration en
Argentine a été permise par la Yevich, entreprise philantrope d'origine
anglaise, fondée et financée par le baron de Hirsch. L'homme d'affaire,
d'origine bavaroise, avait acheté de nombreux terrains en Argentine,
qu'il attribuait gratuitement aux immigrants en échange d'intérêts sur
les fruits de leurs rendements. « les débuts ont été difficiles car les
gringos n'étaient pas habitués au travail des champs, explique Abraham,
mélangeant dans ses phrases le castellano et le idish (langue composée
d'hébreu et d'allemand). Les gauchos, présents avant eux, les ont aidé à
s'adapter. Rapidement, la communauté s'est organisée, on a construit
des synagogues, des écoles et des centres sociaux. Une coopérative
agricole a été fondée, le village est devenu prospère. »
Aujourd'hui, Villa Clara apparaît comme un
village typique construit au coeur de l'Argentine profonde, loin des
clichés de Buenos Aires. Ses routes en terre, parsemées de petites
maisons individuelles fournies en eau et électricité relient les
habitants entre eux. Au coucher du soleil, les rythmes de la cumbia
emplissent l'unique bar du village, tandis que le ciel sombre et tapissé
d'étoiles recouvre les habitants de son manteau de nuit.
article publié sur journal International
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