Jeudi 13 septembre au
soir, de nombreuses manifestations éclataient dans les principales
villes d'Argentine. Rythmée au son des casseroles, la marche
avancait à grands bruits et les voix semblaient s'élever à
l'unanimité contre la politique menée par Cristina Kirchner,
Présidente depuis 2007.
Opposition à la réélection, dénonciation
de l'insécurité, de l'inflation et de la corruption étaient les
principaux motifs de la protestation. L'occasion pour les argentins
de dresser un bilan sur les mesures économiques et politiques
entreprises par le gouvernement ces dernières années.
Il est 19h30 à Buenos
Aires et la place de Mayo se remplit peu à peu. Les manifestants se
pressent devant la maison rose, munis de banderoles, casseroles et
autres objets métalliques afin d'exprimer bruyamment leur
mécontentement. Selon la police municipale, ils étaient près de
200 000 dans la capitale. Dans d'autres villes telles que Rosario,
Cordoba, Tucuman, Mendoza et Santa Fe, des milliers de personnes
avaient elles-aussi répondu à l'appel, lancé uniquement par le
biais des réseaux sociaux.
Sur place, aucun sloggan
partisan mais une population hétérogène, issue en grande partie de
la classe moyenne mais aussi, comme le soulignent les journaux „la
nacion“ et „Pagina12“ de jeunes, de femmes et autres profils
divers. Quelques personnalités politiques s'étaient également
jointes au groupe. Elles indiquaient par leur présence discrète,
l'opinion partagée par des partis tels que „Union pour Tous“ et
„Péronisme Dissident“.
La manifestation du 13
septembre n'est pas la première organisée en opposition au
gouvernement. Depuis le début du second mandat de Cristina, quatre
autres défilés de „cacerolazos“ (les fameuses casseroles,
utilisées lors de chacune des manifestations) ont déjà eu lieu, le
31 mai, les 7 et 14 juin ainsi que le 4 septembre. Ces marches
prônent les mêmes revendications, d'ordre politique et économique.
Or pour le journal „la Nación“, la manifestation du 13 septembre
semble être la plus importante depuis celle survenue en 2008, lors
de la crise opposant le gouvernement et les agriculteurs. Sur
certains sloggans, on lisait même des phrases telles que „non à
la dictature“ ou encore „Va rejoindre Nestor“, l'ancien
Président et mari défunt de Cristina Kirchner.
„Une
manifestation contre la réelection et pour la liberté“
Parmi les différents
motifs appelant à la manifestation, le plus important était sans
aucun doute celui portant sur la réforme constitutionnelle, devant
autoriser la réélection de Cristina Kirchner pour un troisième
mandat. Issu ni du gouvernement ni du Parlement, le projet émane en
réalité d'un texte intitulé „la difference“ et publié en aoùt
2012 par un ensemble d'intellectuels regroupés sous le nom de Carta
Abierta. Fondée en 2008 lors du conflit agricole, l'association
pro-kirchnerienne voit dans le gouvernement actuel, les bases
permettant d'établir une barrière anti-libérale et la création
d'un Etat populaire.
En Argentine, cette
réforme n'est pas la première tentative. En 1998, l'ancien
Président Nestor Kirchner avait déjà imposé la réélection libre
au niveau provincial. Trois provinces l'appliquent actuellement,
celles de Santa Cruz, de Formosa et de Catamarca, comme le souligne
un article paru dans le journal Clarin. Toutefois, pour que le projet
soit adopté, il faudra obtenir l'accord des 2/3 des membres des deux
chambres du Parlement, condition nécessaire pour modifier la
Constitution. En 2011, moins de la moitié des législateurs y
étaient favorables et parmi les soutenants de Kirchner – les
ultras-K comme les surnomme le même Journal - , “beaucoup
affichaient scepticisme et prudence”.
Autre
revendication, celle contre la restriction du dollar. En juillet
2012, la Banque Centrale a en effet officiellement interdit l'achat
de devises étrangères pour les entreprises. Cette mesure censée
lutter contre les importations clandestines dont souffrait le pays,
s'étend aussi sous d'autres formes aux particuliers, rendant l'accès
aux produits étrangers - que les consommateurs argentins avaient
l'habitude d'acheter parfois en dollar - et la mobilité difficiles.
Elle s'inscrit dans le cadre des mesures économiques récemment
menées par le gouvernement Kirchner et que certains économistes et
politologues, tels que Rolendo Astaria et Rosendo Fraga qualifient de
„protectionnisme“.
À ces deux oppositions
majeures viennent ensuite se greffer d'autres revendications, donnant
à l'ensemble hétéroclite une impression de ras-le-bol général.
On pouvait voir en effet des slogans dénoncant l'insécurité
croissante, l'inflation, galopante depuis la crise économique de
2009 ainsi que la corruption au sein du gouvernement, lequel est
notamment accusé par des acteurs privés, partisans de partis de
gauche ou de l'institut national de statistiques (INDEC), de
falsifier les données concernant l'inflation.
Mesures
sociales, protectionnisme économique et nationalisme politique
Élue au premier tour le
28 octobre 2007, Cristina Fernandez de Kirchner est la première
femme élue Présidente en Argentine. Poursuivant les mesures
entreprises par son mari, elle axe ses démarches vers une politique
sociale, expansionniste et redistributive. Le peuple argentin semble
la soutenir, marqué par les progrès salutaires permis par son époux
pour relever le pays de la crise de 2001. Malgré
un double conflit surgi en 2008 avec les producteurs agricoles
et le journal Clarin, La Présidente est réélue pour un second
mandat en novembre 2001, atteignant 54,11% des voix, soit le meilleur
résultat présidentiel depuis l'élection de Péron en 1973.
De centre-gauche, le
gouvernement qu'elle dirige a entrepris de nombreuses mesures
sociales, en faveur notamment des classes les plus défavorisées, ce
qui explique ainsi pour les opposants son succès électoral. Parmi
ses mesures les plus populaires, on peut citer la construction de
logements en 2011, les aides d'accès aux universités (gratuites en
Argentine) et la mise en place en 2009 du programme „football pour
tous“, à travers lequel l'État a aquis les droits de
retransmission à la télévision du football puis des autres sports.
Si ce programme vise à élargir l'accès à la culture, il
represente aussi un coût colossal mis à la charge de l'État, 4000
millions de pesos (soit environ 650 millions d'euros) au total selon
les déclarations du Journal “La Nacion”.
Cependant, après 10 ans
de Kirchnerisme, le paysage électoral s'est modifié et l'euphorie
post-crise de 2001 s'est quelque peu dissipée, laissant place à un
sentiment de lassitude comme le témoigneraient peut-être les
manifestations récemment passées. Un
article paru dans le journal nuevamayoria dénonce en effet la
tendance protectionniste voire nationaliste vers laquelle la
Présidente oriente sa politique. Comme le souligne Rosendo Fraga,
les deux types de régimes diffèrent or le passage de l'un à
l'autre se fait souvent au moyen d'un simple glissement. Avec d'un
côté des mesures de restriction appliquées aux importations, aux
investissements étrangers, l'affaire pétrolière avec
l'expropriation de la compagnie majoritairement espagnole YPF en
avril 2012 et de l'autre, la célébration du 30ème anniversaire du
débarquement aux Malwines prononcé le 2 avril, le message de
Cristina semble clair : se démarquer du modèle libéral mondial et
revaloriser la sentiment d'appartenance argentin.
Les
Argentins et la politique
Qualifier le
gouvernement de dictature et souhaiter la mort de sa Présidente sont
des slogans qui peuvent
paraitre osés ou du moins indiquer de fortes tensions sociales. Ils
doivent toutefois être replacés dans leur contexte, celui de
l'histoire du pays et de l'atmosphère sociale actuelle. Une
construction étatique lente et difficile, suivie d'une période de
censure imposée par la dictature militaire et un rapport
continuellement délicat voire conflictuel avec le voisin nord
américain sont autant d'éléments qui ont faconné le rapport
qu'ont les argentins avec la politique. Ainsi aujourd'hui, donner son
avis, prendre position ou adhérer à un mouvement partisan sont des
actes qui semblent faire partie de la vie quotidienne. Rimant avec
passion, la politique se fait sentir dans de multiples situations,
jusque dans les tribunes de football, entre les suporters de deux
équipes rivales. Pied de nez à la censure autrefois connue, les
Argentins semblent décidés à faire entendre leur droit
d'expression.
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