dimanche 27 avril 2014

à Rennes, une monnaie à l'essai

 

« Ici, on accepte les gallécos » peut-on lire sur certaines vitrines, dans les rues de Rennes. Cette nouvelle monnaie locale, complémentaire de l'euro, a fait son entrée en septembre 2013. Aujourd'hui, elle en est encore au stade de l'expérimentation. Tout en s'inscrivant dans une démarche présentée comme solidaire et citoyenne, elle s'imbrique dans un vaste projet national. Une monnaie à l'essai.





Sur la nappe verte de sa petite table pliante, entre deux étals de fruits et légumes, Anne Bruzac dispose ce qui ressemble à des billets de Monopoly. Ces étranges coupons colorés, ce sont des gallécos. Quelques semaines après son lancement, nombreux sont les Rennais qui n'ont encore jamais entendu parler de cette nouvelle monnaie locale. « Cest pour ça que nous allons faire de la sensibilisation, ce matin » explique la jeune femme, directrice de l'association Galléco. Postée au milieu de l'allée, au marché des Lices, elle arrête les passants venus faire leurs courses. « Le galléco peut favoriser l'emploi en Ille-et-Vilaine et redonner plus de clientèle aux petits commerçants et aux producteurs locaux » argumente-t-elle avec le sourire, avant de leur laisser un flyer entre les mains.

Le bouche-à-oreille semble fonctionner et, à défaut de s'affirmer déjà dans les portefeuilles, les gallécos commencent à prendre leur place dans les conversations. « Moi, ça ne me branche pas du tout ce truc là. C’est trop de paperasse » râle l’une des commerçantes. Chantal Simonneaux, quant à elle, est convaincue. A ses clients, elle parle des gallécos et de l'opération de com' de l'association. « Vous ne connaissez pas ? Ce n’est pas pour spéculer, c’est de l’argent pour produire. » Une dame semble emballée. « Ça tombe bien, j’achète toujours local depuis trente ans. Moi, je suis contre tout cet argent pourri. Où est le stand ? »


Le kesako du galléco
Le mot 'galléco' vient de ‘gallo’ (une langue de Haute-Bretagne) et de ‘éco’ (à la fois pour économie et écologie). Cette monnaie complémentaire de l'euro a été lancée le 21 septembre 2013 par le conseil général d'Ille-et-Vilaine. Elle ne circule que dans trois zones-test (Rennes, Redon et Fougères) et seulement dans le réseau de commerces, d'entreprises et de citoyens qui se sont inscrits à l'association.
Pour obtenir ces billets, il suffit aux adhérents de se rendre dans une banque partenaire, le Crédit Coopératif ou bien le Crédit Agricole. Ensuite, très facile de faire la conversion : un galléco égale un euro. Les billets colorés peuvent alors être utilisés pour l'achat de biens et services auprès de commerçants et producteurs locaux.
Le galléco a été créé dans l'objectif de re-dynamiser l'économie réelle locale en favorisant les circuits courts. « Les consommateurs ne peuvent pas le reconvertir, explique Anne Le Tellier, chargée de mission au conseil général d'Ille-et-Vilaine. Ils sont donc obligés de le dépenser dans des entreprises ou des commerces membres du réseau ». En revanche, la liberté est laissée aux entreprises de changer leurs gallécos contre des euros.


Parmi les banques associées au projet, seul le crédit coopératif a accepté d'ouvrir le dispositif à tout le monde. Les autres banques limitent l'accès à leur clientèle. Pour le directeur de l'agence, Bernard Boo, « le partenariat est une bonne initiative. Les gallécos sont des coupons d'échange plus qu'une monnaie, précise-t-il. Ils permettent de développer les échanges locaux et durables » . Un petit geste pour les consommateurs et une bonne image pour les banquiers. 40 000 gallécos circulent actuellement sur le marché. La même quantité d'euros a été placée sous forme de dépôt de garantie sur un compte épargne.


L'idée d'une monnaie complémentaire n'est pas nouvelle. Elle s'inscrit dans un vaste projet national soutenu par l'Union Européenne et a déjà fait l'objet de plusieurs tentatives. Cinq territoires régionaux ont accepté d'expérimenter le concept de monnaies solidaires en échange de subventions européennes. Parmi eux, la Bretagne mais aussi l'Alsace, le Nord-Pas-de Calais, la région Rhône-Alpes et les Midi-Pyrénées. En 2006, une monnaie locale (le sol) avait été introduite sur le marché rennais. Sans succès. « C'était beaucoup trop compliqué et il n'y a pas eu d'appropriation par les citoyens » regrette Anne Le Tellier. Parachuté de Paris avec le soutien des institutions européennes, le projet était en décalage avec la réalité locale. Au final, les résultats au niveau national semblent mitigés. Seuls les billets sols créés à Toulouse semblent avoir fonctionné.

La réussite toulousaine, un exemple pour Rennes

Financés par la mairie de Toulouse, les sols violettes ont été insérés sur le marché en mai 2011. Aujourd'hui, leur circulation est deux à trois fois plus rapide que celle des euros. Comme les gallécos, ils sont équipés d'une puce électronique afin d'éviter les falsifications. Chaque euro converti en sol est placé sur un compte épargne.

Fin 2012, l'association recensait 95 prestataires, 814 adhérents et plus de 63 000 euros convertis. Certaines entreprises comme les Biocoops, spécialisées dans la distribution directe de produits bios, ont vu leur chiffre d'affaire augmenter. Mais le modèle toulousain va encore plus loin. La mairie est en effet autorisée à verser des sols violettes aux chômeurs. « Ce qui nous a plu dans cette démarche politique, analyse Marie Lacoste de la Maison des chômeurs avenir, c'est que pour la première fois on s'intéresse au mode de consommation des gens précaires. » Pour les défenseurs de l'association, les sols violettes ont permis de retrouver le facteur du lien social, absent des monnaies traditionnelles. Un objectif que s'est aussi fixé Rennes.

Si dans un an, le bilan s'avère positif, le conseil général d'Ille-et-Vilaine envisage d'étendre la circulation du galléco à tout le département. Ce serait une première en France mais Anne Le Tellier doute fort que l'Autorité de Contrôle Prudentiel accepte. L'ACP, (l’organe de supervision français de la banque et de l’assurance) rappelle en effet que selon le droit commercial, les monnaies complémentaires ne sont légales que si elles circulent sur un territoire déterminé pour un nombre d'acteurs limités. « Je ne suis pas du tout sûre qu'un département d'un million d'habitant comme l'Ille-et-Vilaine soit un périmètre autorisé » indique Anne. L'association se bat auprès de la banque de France pour prouver la légalité de sa monnaie. Sans cela, le projet pourrait tomber à l'eau et les banques partenaires refuseraient de s'engager définitivement. Leur participation est contestée par certains acteurs, pour qui associer les intérêts des gens à celui des banques relève du paradoxe.
Pour le moment, le réseau manque encore d'adhérents. Anne Le Tellier espère voir leur nombre augmenter avant la fin de l'année. Essentiellement utilisé par les adeptes du local et du bio, le galléco présente un côté bobo. Certaines personnes avouent pourtant avoir changé leurs habitudes. C'est le cas d’Éliane, bénévole de l'association. « Maintenant, je cherche les commerçants qui les acceptent. C’est une petite contribution pour laisser une société plus agréable à nos enfants. »
Il faut donc augmenter l'offre, toucher tous les secteurs, afin de rendre le réseau plus hétérogène. Pour Éric Challan Belval, directeur de l'entreprise d'insertion « Les feuilles d'Érable » à Rennes, la monnaie pourrait même servir à payer une partie des salaires. « Nous n'avons pas de cantine et les salariés à la pause midi vont acheter des produits hyper-industrialisés. On pourrait donc passer un accord avec un restaurant local membre du réseau pour que nos salariés puissent se fournir chez lui en échange de gallécos. »


La monnaie locale, symptôme ou solution de la crise ?

Patrick Viveret, philosophe et ancien conseiller de la Cour des Comptes ayant inspiré les monnaies complémentaires en France, voit en elles un moyen permettant de résoudre la crise financière. Comme le fait remarquer Eric Challan Belval, « on paie pour acheter le produit que l'on a choisi. Acheter est donc un acte à la fois engagé et engageant ». Pour lui, le système actuel oscille entre deux extrêmes : la monnaie unique, performante mais non stable et le troc, stable mais non performant. Entre les deux, le galléco viendrait rétablir un équilibre.

Au total, 5000 monnaies complémentaires sont recensées dans le monde. Du bon d'achat au ticket restaurant en passant par les miles des compagnies aériennes, ces différentes formes de paiement ont pour but de fidéliser le client et créer un réseau. Pour certains experts, elles nuisent pourtant à la liberté du consommateur. Ainsi Laurent Samuel, ancien consultant des réseaux bancaires souligne que « la monnaie locale a pour but d'empêcher la spéculation, or il ne faut pas confondre spéculer et épargner ». À Toulouse, les billets qui ne circulent pas pendant plus de deux mois perdent de leur valeur. En incitant à la consommation locale, on pénalise l'acheteur qui souhaite économiser ou le commerçant qui ne fait pas partie du réseau.

L'exemple argentin montre les limites du modèle. En 2002, les gouvernements fédérés endettés ont décidé de créer des monnaies complémentaires pour verser le salaire des fonctionnaires et stimuler la consommation locale. Ces billets circulant dans une sorte de circuit parallèle ont contribué à l'inflation. En pratique, la monnaie locale valait nettement moins que la monnaie nationale.

À Rennes, la démarche des gallécos reste encore très symbolique. Ceux qui adhèrent au projet sont surtout des citoyens déjà convaincus. Ils dépensent leurs gallécos dans des entreprises ou commerces dont ils étaient déjà clients. Pour Michel Renault, professeur d'économie à l'Université Rennes 1, « il est trop tôt pour mesurer les effets du galléco. Le projet représente un coût non négligeable. Il faut maintenant voir s'il est accepté par les usagers. S'il n'y a pas la mentalité qui va avec, le projet ne pourra fonctionner ». En attendant, les commerçants l'ont compris : pour eux, l'intérêt majeur de la monnaie est surtout la visibilité et l'image positive que leur procure l'adhésion au réseau. Anne Le Tellier le reconnaît, « le galléco, c'est surtout un logo ».

article rédigé par Marion Roussey et Elise Rengot

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire