« Ici,
on accepte les gallécos » peut-on lire sur certaines vitrines,
dans les rues de Rennes. Cette nouvelle monnaie locale,
complémentaire de l'euro, a fait son entrée en septembre 2013.
Aujourd'hui, elle en est encore au stade de l'expérimentation. Tout
en s'inscrivant dans une démarche présentée comme solidaire et
citoyenne, elle s'imbrique dans un vaste projet national. Une monnaie
à l'essai.
Sur la nappe verte de sa petite table pliante, entre deux étals de fruits et légumes, Anne Bruzac dispose ce qui ressemble à des billets de Monopoly. Ces étranges coupons colorés, ce sont des gallécos. Quelques semaines après son lancement, nombreux sont les Rennais qui n'ont encore jamais entendu parler de cette nouvelle monnaie locale. « C’est pour ça que nous allons faire de la sensibilisation, ce matin » explique la jeune femme, directrice de l'association Galléco. Postée au milieu de l'allée, au marché des Lices, elle arrête les passants venus faire leurs courses. « Le galléco peut favoriser l'emploi en Ille-et-Vilaine et redonner plus de clientèle aux petits commerçants et aux producteurs locaux » argumente-t-elle avec le sourire, avant de leur laisser un flyer entre les mains.
Le
bouche-à-oreille semble fonctionner et, à défaut de s'affirmer
déjà dans les portefeuilles, les gallécos commencent à prendre
leur place dans les conversations. « Moi, ça ne me branche
pas du tout ce truc là. C’est trop de paperasse » râle
l’une des commerçantes. Chantal Simonneaux, quant à elle, est
convaincue. A ses clients, elle parle des
gallécos et de l'opération de com' de l'association. « Vous
ne connaissez pas ? Ce n’est pas pour spéculer, c’est de
l’argent pour produire. »
Une dame semble emballée. « Ça
tombe bien, j’achète toujours local depuis trente ans. Moi, je
suis contre tout cet argent pourri. Où est le stand ? »
Le
kesako du galléco
Le mot 'galléco' vient de ‘gallo’
(une langue de Haute-Bretagne) et de ‘éco’ (à la fois pour
économie et écologie). Cette monnaie complémentaire de l'euro a
été lancée le 21 septembre 2013 par le conseil général
d'Ille-et-Vilaine. Elle ne circule que dans trois zones-test (Rennes,
Redon et Fougères) et seulement dans le réseau de commerces,
d'entreprises et de citoyens qui se sont inscrits à l'association.
Pour obtenir ces billets, il suffit
aux adhérents de se rendre dans une banque partenaire, le Crédit
Coopératif ou bien le Crédit Agricole. Ensuite, très facile de
faire la conversion : un galléco égale un euro. Les billets
colorés peuvent alors être utilisés pour l'achat de biens et
services auprès de commerçants et producteurs locaux.
Le
galléco a été créé dans l'objectif de re-dynamiser l'économie
réelle locale en favorisant les circuits courts. « Les
consommateurs ne peuvent pas le reconvertir, explique
Anne Le Tellier, chargée de mission au conseil général
d'Ille-et-Vilaine. Ils
sont donc obligés de le dépenser dans des entreprises ou des
commerces membres du réseau ».
En revanche, la liberté est laissée aux entreprises de changer
leurs gallécos contre des euros.
Parmi
les banques associées au projet, seul le crédit coopératif a
accepté d'ouvrir le dispositif à tout le monde. Les autres banques
limitent l'accès à leur clientèle. Pour le directeur de l'agence,
Bernard Boo, « le
partenariat est une bonne initiative. Les gallécos sont des coupons
d'échange plus qu'une monnaie, précise-t-il.
Ils permettent de développer les échanges locaux et durables »
.
Un petit geste pour les consommateurs et une bonne image pour les
banquiers. 40 000 gallécos circulent actuellement sur le marché. La
même quantité d'euros a été placée sous forme de dépôt de
garantie sur un compte épargne.
L'idée d'une monnaie
complémentaire n'est pas nouvelle. Elle s'inscrit dans un vaste
projet national soutenu par l'Union Européenne et a déjà fait
l'objet de plusieurs tentatives. Cinq territoires régionaux ont
accepté d'expérimenter le concept de monnaies solidaires en échange
de subventions européennes. Parmi eux, la Bretagne mais aussi
l'Alsace, le Nord-Pas-de Calais, la région Rhône-Alpes et les
Midi-Pyrénées. En 2006, une monnaie locale (le sol) avait été
introduite sur le marché rennais. Sans succès. « C'était
beaucoup trop compliqué et il n'y a pas eu d'appropriation par les
citoyens » regrette Anne Le Tellier. Parachuté de Paris
avec le soutien des institutions européennes, le projet était en
décalage avec la réalité locale. Au final, les résultats au
niveau national semblent mitigés. Seuls les billets sols créés à
Toulouse semblent avoir fonctionné.
La
réussite toulousaine, un exemple pour Rennes
Financés par la mairie
de Toulouse, les sols violettes ont été insérés sur le marché en
mai 2011. Aujourd'hui, leur circulation est deux à trois fois plus
rapide que celle des euros. Comme les gallécos, ils sont équipés
d'une puce électronique afin d'éviter les falsifications. Chaque
euro converti en sol est placé sur un compte épargne.
Fin 2012, l'association
recensait 95 prestataires, 814 adhérents et plus de 63 000 euros
convertis. Certaines entreprises comme les Biocoops, spécialisées
dans la distribution directe de produits bios, ont vu leur chiffre
d'affaire augmenter. Mais le modèle toulousain va encore plus loin.
La mairie est en effet autorisée à verser des sols violettes aux
chômeurs. « Ce qui nous a plu dans cette démarche
politique, analyse Marie Lacoste de la Maison des chômeurs
avenir, c'est que pour la première fois on s'intéresse au mode
de consommation des gens précaires. » Pour les défenseurs
de l'association, les sols violettes ont permis de retrouver le
facteur du lien social, absent des monnaies traditionnelles. Un
objectif que s'est aussi fixé Rennes.
Si dans
un an, le bilan s'avère positif, le conseil général
d'Ille-et-Vilaine envisage d'étendre la circulation du galléco à
tout le département. Ce serait une première en France mais Anne Le
Tellier doute fort que l'Autorité de Contrôle Prudentiel accepte.
L'ACP, (l’organe de supervision français de la banque et de
l’assurance) rappelle en effet que selon le droit commercial, les
monnaies complémentaires ne sont légales que si elles circulent sur
un territoire déterminé pour un nombre d'acteurs limités.
« Je
ne suis pas du tout sûre qu'un département d'un million d'habitant
comme l'Ille-et-Vilaine soit un périmètre autorisé » indique
Anne. L'association
se bat auprès de la banque de France pour prouver la légalité de
sa monnaie. Sans cela, le projet pourrait tomber à l'eau et les
banques partenaires refuseraient de s'engager définitivement. Leur
participation est contestée par certains acteurs, pour qui associer
les intérêts des gens à celui des banques relève du paradoxe.
Pour
le moment, le réseau manque encore d'adhérents. Anne Le Tellier
espère voir leur nombre augmenter avant la fin de l'année.
Essentiellement utilisé par les adeptes du local et du bio, le
galléco présente un côté bobo. Certaines personnes avouent
pourtant avoir changé leurs habitudes. C'est le cas d’Éliane,
bénévole de l'association. « Maintenant,
je cherche les commerçants qui les acceptent. C’est une petite
contribution pour laisser une société plus agréable à
nos enfants. »
Il
faut donc augmenter l'offre, toucher tous les secteurs, afin de
rendre le réseau plus hétérogène. Pour Éric Challan Belval,
directeur de l'entreprise d'insertion « Les feuilles d'Érable »
à Rennes, la monnaie pourrait même servir à payer une partie des
salaires. « Nous
n'avons pas de cantine et les salariés à la pause midi vont acheter
des produits hyper-industrialisés.
On pourrait donc passer un accord avec un restaurant local membre du
réseau pour que nos salariés puissent se fournir chez lui en
échange de gallécos. »
La
monnaie locale, symptôme ou solution de la crise ?
Patrick Viveret,
philosophe et ancien conseiller de la Cour des Comptes ayant inspiré
les monnaies complémentaires en France, voit en elles un moyen
permettant de résoudre la crise financière. Comme le fait remarquer
Eric Challan Belval, « on paie pour acheter le produit que
l'on a choisi. Acheter est donc un acte à la fois engagé et
engageant ». Pour lui, le système actuel oscille entre
deux extrêmes : la monnaie unique, performante mais non stable
et le troc, stable mais non performant. Entre les deux, le galléco
viendrait rétablir un équilibre.
Au total, 5000 monnaies
complémentaires sont recensées dans le monde. Du bon d'achat au
ticket restaurant en passant par les miles des compagnies aériennes,
ces différentes formes de paiement ont pour but de fidéliser le
client et créer un réseau. Pour certains experts, elles nuisent
pourtant à la liberté du consommateur. Ainsi Laurent Samuel, ancien
consultant des réseaux bancaires souligne que « la monnaie
locale a pour but d'empêcher la spéculation, or il ne faut pas
confondre spéculer et épargner ». À
Toulouse, les billets qui ne circulent pas pendant plus de deux mois
perdent de leur valeur. En
incitant à la consommation locale, on pénalise l'acheteur qui
souhaite économiser ou le commerçant qui ne fait pas partie du
réseau.
L'exemple argentin
montre les limites du modèle. En 2002, les gouvernements fédérés
endettés ont décidé de créer des monnaies complémentaires pour
verser le salaire des fonctionnaires et stimuler la consommation
locale. Ces billets circulant dans une sorte de circuit parallèle
ont contribué à l'inflation. En pratique, la monnaie locale valait
nettement moins que la monnaie nationale.
À Rennes, la démarche
des gallécos reste encore très symbolique. Ceux qui adhèrent au
projet sont surtout des citoyens déjà convaincus. Ils dépensent
leurs gallécos dans des entreprises ou commerces dont ils étaient
déjà clients. Pour Michel Renault,
professeur d'économie à l'Université Rennes 1, « il
est trop tôt pour mesurer les effets du galléco. Le projet
représente un coût non négligeable. Il faut maintenant voir s'il
est accepté par les usagers. S'il n'y a pas la mentalité qui va
avec, le projet ne pourra fonctionner ».
En attendant, les commerçants l'ont compris : pour eux,
l'intérêt majeur de la monnaie est surtout la visibilité et
l'image positive que leur procure l'adhésion au réseau. Anne Le
Tellier le reconnaît, « le galléco, c'est surtout un
logo ».
article rédigé par Marion Roussey et Elise Rengot
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