dimanche 27 avril 2014

Villejean au bord de la rame

Depuis plus de dix ans, le métro dessert Villejean grâce à ses deux stations, Université et Kennedy. Sa construction, critiquée au départ, a engendré d’importants changements. Relié au centre, le quartier conserve une ambiance populaire façonnée par le discours de ses habitants.





« S’il n’y avait pas de métro, je pense que je n’habiterais pas là ! » Etudiante en dernière année de droit, Marie vit depuis trois ans dans un appartement en colocation à proximité de la station Villejean-Université. Un endroit bien placé, proche des commerces et à moins de cinq minutes du centre. « Les loyers ici sont moins chers que dans le vieux Rennes », glisse-t-elle en rangeant son parapluie bleu pastel,  avant de monter dans la rame.

A l’extérieur, la place du Recteur Henri-Le-Moal ne désemplit pas. Les défilés de voitures répondent aux cortèges de bus qui déposent les étudiants devant l’université Rennes 2. Ils se mêlent aux groupes de personnes âgées, aux mères accompagnant leurs enfants ou aux autres passants. Chaque mardi depuis presque un an, Eric stationne son camion de pizza devant le parc relais : « Je reçois beaucoup d’étudiants, remarque-t-il, mais aussi des habitants du quartier, habitués ou de passage. » Arrivé ici trop récemment pour suivre l’évolution du quartier, il reconnait tout de même que « sans le métro et le campus, il n’y aurait pas autant de passants ». Mise en service en 2002, la ligne A du métro a transformé le paysage et la fréquentation de Villejean.

Le métro, un avant mais surtout un après

Le quartier devient une porte d’entrée pour les communes voisines. Pour Bertrand Guidon, ancien chargé de communication urbaine de Rennes métropole, l’arrivée du métro a permis à la fois une ouverture du quartier vers le centre et un accès direct à Rennes pour les villes alentour. C’est notamment le cas de la cité de Clayes, à dix-sept kilomètres de Rennes, intégrée dans l’agglomération depuis 1993. Interviewée par Rennes métropole, la maire Paulette Richeux indique que trois habitants sur quatre étudient ou travaillent à Rennes ou à proximité. « L’existence de lignes de bus directes vers la station Villejean-Université, est un plus pour tous les habitants de la commune. » Parmi les quarante-trois communes de la métropole, cinq viennent d’intégrer l’agglomération le 1er janvier 2014. Bécherel, La Chapelle-Chaussée, Langan, Miniac-sous-Bécherel et Romillé ont tous un point commun : elles se situent au nord-ouest de Rennes, dans le prolongement de Villejean.

A l’intérieur du quartier, la situation a également changé. « Avant le métro, il y avait une coupure entre l’université et le reste des habitants », note Bertrand Guidon. Cette coupure a été en partie amoindrie, notamment avec la restructuration de la Dalle devenue piétonne et la création d’une rue commerçante reliant les deux stations. Plus proche du centre et doté de commerces, le quartier attire étudiants et nouveaux arrivants, ce qui a eu une influence sur les prix des loyers. « Les logements privés sont plus chers ici qu’à Bréquigny ou au Blosne, analyse Daniel Leclerc, président de l’Association des usagers des transports d’Ille-et-Vilaine (Autiv). Cela pourrait venir de la mixité sociale, un critère apprécié des futurs propriétaires, renforcé par l’apparition du métro. »

L’université à l’heure du métro

 
Daniel Leclerc, président de l’Autiv explique les conséquences du métro à Villejean - Crédit photo : Paul Gogo

Lors de la construction, la mairie prévoyait 77 000 usagers par jour. Douze ans plus tard, le chiffre est monté à 120 000. Une augmentation qui n’est pas sans conséquence pour le trafic. « A certaines heures de la journée, il y a tellement de monde, qu’il est presque impossible de monter. Ça m’est déjà arrivé de devoir attendre le suivant », explique Marie l’étudiante. Le trajet pour aller jusqu’à Villejean le matin est particulièrement bondé, à tel point que l’université de Rennes 2 a dû décaler ses horaires de cours. « On s’est rendu compte après des enquêtes de terrain menées par la Métropole qu’une grande partie des étudiants prend le métro aux stations gare et Sainte Anne, explique Pierre Bazantay, vice-président chargé de la vie étudiante. Ils viennent majoritairement du centre, de correspondances ou arrivent même en train depuis l’extérieur de la ville. »

 
Depuis la rentrée 2012, près d’un quart des étudiants de Rennes 2 se rend un quart d’heure plus tard à l’université - Crédit photo : Marion Roussey

Organisées par Rennes Métropole, des réunions de concertation ont donc invité les différents acteurs du réseau à trouver des solutions. Depuis septembre 2012, certains cours ont été retardés de 8h15 à 8h30. « Cela concerne huit mille des 22 000 étudiants que compte la fac », indique le vice-président. Prolongée à la rentrée, la mesure permettrait de désengorger le réseau. A l’échelon national, la SNCF s’est emparée de l’expérience pour proposer d’appliquer le décalage horaire à des entreprises de région parisienne. « Lorsqu’un aménagement urbain s’avère positif, il est souvent copié ailleurs », note Marc Dumont, professeur d’urbanisme à Rennes 2. Les acteurs construisant le paysage urbain sont en effet parfois identiques d’une ville à l’autre. A Rennes, ils ont du se confronter aux nombreuses craintes ayant fait surface avant sa mise en circulation.

Une construction vivement contestée

 
Enseignant en urbanisme à Rennes 2, Marc Dumont compare le métro rennais aux autres villes - Crédit photo : Paul Gogo

Le vendredi matin, à côté de l’Eglise Saint-Luc, le parking se vide de ses voitures pour accueillir le marché. L’occasion pour de nombreux habitants d’échanger quelques nouvelles. Parmi les primo-arrivants, nombreux sont ceux qui se souviennent des conflits engendrés par la construction du métro. « Elle a été pénible et longue », explique Marité. Âgée de 72 ans, des yeux clairs cerclés de lunettes et un sourire apaisant, la retraitée est venue vivre dans les tours en 1967, séduite avec son mari « par le confort et la modernité des nouveaux logements ». Au total, les travaux ont duré cinq ans et ont coûté plus d’un milliard d’euros.

 « Au départ il était question de construire un métro aérien, se souvient Marité. Beaucoup de gens s’y opposaient car ils craignaient des nuisances sonores. D’autres se laissaient influencer. On parlait de risques d’effondrement des immeubles ou d’endettement de la ville. » Ces informations, sources de polémique et largement relayées par les médias de l’époque, ont poussé soixante mille personnes à signer une pétition pour s’opposer à la construction. En vain. Le maire Edmond Hervé a refusé tout référendum. Aux élections de 1995, il a inscrit le projet à son programme, estimant que ceux qui voteraient pour lui accepteraient tacitement la construction du VAL. Pour Eric Berroche, adjoint au maire délégué aux transports, à la voirie et à la circulation, le choix s’explique par le contexte de l’époque. « Au départ, la gauche était plutôt favorable au tramway, moins cher et plus extensible mais on s’est rapidement rendu compte que son insertion dans le centre-ville confiné de Rennes était impossible. On s’est donc tourné vers le métro. »


La ligne a donc été maintenue mais le tracé s’est modifié pour un coût supérieur à celui envisagé au départ. Le parcours souterrain a été doublé. L’élu reconnait que d’importants problèmes sont survenus au cours des travaux, notamment en raison d’effondrements de la chaussée dans le centre-ville. Aujourd’hui, les élus s’accordent à dire que la création du VAL a permis d’accélérer la mobilité et de désenclaver Villejean. Pour Eric Berroche, il a rendu une fierté à tous les Rennais. « Ici le mot banlieue n’existe pas dans le vocabulaire local. On appartient à un quartier mais on partage le même centre-ville. » Cela n’empêche pas les habitants d’évoquer un certain sentiment d’appartenance au quartier.

Villejean, mi-ville, mi-campagne

« Villejean, c’est un village, explique Marion, un morceau de ville au bord de la campagne. » Employée à la maison Mots Arts, une association luttant contre l’illettrisme, la jeune fille a vécu un an dans les tours : « II y a de l’animation sur la Dalle, se réjouit-elle. C’est vivant. Le dimanche matin c’est agréable de se réveiller au son des percussions et du bruit des enfants du square ».

 
Pour Marion de l’association Mots Arts, la Dalle est un espace vivant, à l’image de ses habitants. - Crédit photo : Marion Roussey

Parfois critiquée pour son urbanisme froid et impersonnel, la place Kennedy a évolué depuis la construction de la station de métro. Pour les membres de l’Association des résidents de Villejean (ARV), l’ambiance s’est détériorée. Le métro a  favorisé le brassage des habitants. Il a aussi renforcé le caractère ‘populaire’ de Villejean. « Le quartier s’est appauvri remarque ainsi Catherine, ancienne assistante sociale activement impliquée dans la vie de quartier. Les Villejeanais vieillissent et les nouveaux arrivants n’ont pas le même esprit de solidarité. Et puis l’état des logements ne cesse de se dégrader ». Moins enclavé et ouvert à de nouvelles populations, le quartier n’a cessé d’évoluer ces dernières années. Cela est dû à l’arrivée du métro mais aussi aux efforts des villejeanais. Pour Catherine, les vrais architectes de Villejean, ce sont avant tout les habitants.
En complément, retrouvez notre table ronde, réunissant les habitants de Cleunay et ceux de Villejean autour de la question de l’arrivée du métro à Rennes.

Si l’on réinventait le quartier ?

 
Pour les villegeanais, il faudrait mettre de la couleur et des fleurs dans le quartier.

En automne 2013, un atelier a été organisé par l’association Mots arts. Composée de trois salariés, la petite structure a pour objectif la lutte contre l’illettrisme.  Elle a invité au cours de plusieurs rencontres, les enfants d’un centre de loisirs et les résidants de la maison de retraite Raymond Thomas à réinventer Villejean. Sorti de terre, au moyen de bulldozers qui ont rasé tous les champs pour planter des tours, le quartier s’est modernisé depuis l’apparition du VAL. La dalle Kennedy a été restructurée. Ses huit tours de quinze étages se dressent vers le ciel tandis que le paysage allie modernité et béton. Que ce soit au marché ou sur la Dalle, les habitants interrogés sont conscients que les tours sont indispensables pour permettre de loger tout le monde. Cependant pour Marion, employée par l’association, un peu de verdure et de couleurs seraient bienvenues. Au cours des rencontres organisées, enfants comme personnes âgées ont redessiné leur quartier. Ronds-points fleuris, parcs animaliers, façades colorées et zones d’activités adaptées à chaque tranche d’âge recouvrent les croquis. 

article rédigé par Marion Roussey, publié sur le site de France 3 Bretagne

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