dimanche 27 avril 2014

Evo Morales : "Je ne suis pas un criminel ! "

Quatre refus et treize heures d'attente sur le sol européen peuvent suffire à brouiller les relations diplomatiques entre plusieurs pays. L'atterrissage forcé, ayant retardé l'avion du Président bolivien Evo Morales lors de son passage en Europe, a ravivé en Amérique latine un sentiment de rancoeur contre l'impérialisme. De la Bolivie, il s'étend « par solidarité » aux pays voisins. 

 


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Le Président bolivien a pu regagner son pays dans la nuit du mercredi 3 juillet. Soupçonné de transporter l'ancien employé de la CIA Edward Snowden, son avion avait été détourné et bloqué plusieurs heures à Vienne en Autriche. La France, l'Italie, l'Espagne et le Portugal lui ont refusé l'accès à leur espace aérien alors qu'il revenait d'une réunion des pays producteurs de gaz en Russie. La mesure, déclenchée suite à une fausse alerte, révèle les liens étroits reliant l'Europe aux États-Unis. Elle suscite également de fortes réactions dans les pays d'Amérique Latine qui dénoncent un «complot impérialiste érigé sur les vestiges d'une ancienne Europe coloniale.»

Un incident vécu comme une « humiliation pour le continent »

À peine sorti de l'avion à l'aéroport El Alto proche de La Paz, le Président Evo Morales exprimait son indignation face au comportement de ses homologues européens : « Je ne suis pas un criminel, annonçait-il. Cet arrêt obligatoire est une provocation lancée à la Bolivie et au continent. Certains pays d'Europe devraient se libérer de l'impérialisme nord-américain. »
 
Dans la journée du 3 juillet, le gouvernement bolivien a porté plainte contre les quatre pays européens devant l'ONU pour violation des droits fondamentaux du Président. Selon le quotidien argentin, La Nación, les pays membres de l'UNASUR se sont réunis en urgence le lendemain de l'incident, afin « d'analyser la situation générée par le blocage aérien ». Ils exigent des explications et des excuses de la part des représentants des pays concernés. De leur côté, les chefs d'État d'Argentine, du Venezuela, d'Équateur, du Suriname et d'Uruguay se sont rendus à Cochabamba pour exprimer leur soutien au Président Morales.
 
Détourné puis détenu durant près de quatorze heures à l'aéroport de Vienne en Autriche, celui-ci s'est fermement opposé à toute inspection des autorités locales, convaincues que son avion abritait Edward Snowden, l'ancien espion recherché par les États-Unis. Un manque de tact, qui touche un point sensible en Amérique latine et incite plusieurs dirigeants politiques à accuser la Maison Blanche d'être à l'origine du conflit. Interrogée par le journal bolivien El Mundo, Jennifer Psaki, la porte-parole du département d'État, affirme cependant que la décision de fermer l'espace aérien a été prise de manière individuelle par les quatre États européens. L'explication ne semble pas convaincre les autorités boliviennes, qui dénoncent un complot sous forme d'accord conclu avec les États-Unis.
 
À La Paz, le Vice-Président Álvaro García Linera a annoncé son intention de convoquer les ambassadeurs de France, d'Espagne, d'Italie ainsi que le consul du Portugal pour obtenir des explications. « Les États-Unis vont trop loin, a déclaré le Président Morales dans un communiqué de presse à Cochabamba. Nous étudions sérieusement la possibilité de fermer l'Ambassade des États-Unis ». Tandis que le Président était retenu à Vienne, plusieurs groupes de manifestants se sont réunis devant l'Ambassade de France à La Paz. Ils exprimaient leur mécontentement en faisant brûler des drapeaux français et européens.

Une attitude qui soulève des interrogations

Relayées par la presse, les révélations de l'informaticien Edward Snowden concernant le recours à l'espionnage aux États-Unis ont suscité de vives réactions. En juin dernier, l'ancien employé de la CIA avait rendu publique une série d'informations maintenues secrètes par l'Agence Nationale de Sécurité (NSA), concernant le système d'écoute téléphonique et cybernétique du gouvernement américain. Inculpé pour espionnage, vol et utilisation illégale des données appartenant à l'État, Edward Snowden entreprend alors une longue cavale afin de fuir la justice de son pays. D'abord réfugié à Hong Kong, il embarque pour la Russie le 23 juin, demeurant depuis dans la zone de transit de l'aéroport de Moscou.
 
À l'annonce du scandale, les acteurs politiques français s'étaient dits extrêmement choqués par le recours à de telles mesures, que Laurent Fabius qualifiait « d'inacceptables », exigeant des explications de la part de Washington. Comment expliquer ce brusque changement de position, de la part du gouvernement français, qui s'empresse deux jours plus tard de bloquer l'avion présidentiel en croyant y percevoir l'ombre de Snowden ? Pour les pays d'Amérique latine, le masque vient de tomber et entraîne dans sa chute l'indépendance fièrement prônée par l'Union Européenne. Selon Luisa Corradini, journaliste en Argentine, le comportement des quatre États en cause est paradoxal. Ceux qui jugeaient le recours à l'espionnage inadmissible, saluant le courage de Snowden, refusent à présent, tour à tour, les demandes d'asile envoyées par le fugitif. Dans un contexte de crise économique qu'ils ne parviennent à apaiser, la réaction faussement indignée des dirigeants européens ne s'apparente selon la journaliste qu'à une « simple mise en scène diplomatique destinée à l'opinion publique ».
 

La fermeture de l'espace aérien, une mesure légale, mais dangereuse

Interrogés par la presse bolivienne, des experts du droit international indiquent que l'interdiction de survol donnée par les différents pays européens apparait conforme à la loi. En France, le code de l'aviation civile confère conjointement au Ministre de la défense et à la direction générale de l'aviation civile, le droit d'organiser et règlementer l'utilisation de l'espace aérien, comme le souligne un article paru dans La Croix. Toutefois, dans le cas du Président bolivien, Paris aurait préalablement donné son autorisation de survoler le sol français le 27 juin, avant de se rétracter peu de temps avant l'entrée de l'avion présidentiel sur son territoire.

Selon Dante Caputo, ancien ministre des Affaires Étrangères en Argentine, la mesure des États européens est certes légale mais elle va à l'encontre des règles de courtoisie diplomatique les plus élémentaires, ce qui explique la réaction virulente des pays d'Amérique du Sud. « Refuser l'accès à l'espace aérien entraine des manoeuvres compliquées, explique Dante Caputo. Lorsqu'il s'agit d'un Président, la mesure doit être prise avec davantage de précautions car l'avion possède une immunité diplomatique. Lorsqu'il attérit sur un territoire étranger, les autorités locales ne peuvent y pénetrer sans autorisation ».

La fermeture des espaces aériens au Président Morales a remis en question le respect des accords internationaux. Toutefois, des conflits diplomatiques du même genre ont déjà opposé des chefs d'Etat. Comme le rapporte le journal La Croix, la chancelière allemande qui devait se rendre en mai 2011 en Inde, s'est vue refuser l'accès aérien par l'Iran. L'avion avait du survoler la Turquie durant deux heures avant d'obtenir la permission de reprendre sa trajectoire.

Toujours en fuite, Edward Snowden serait actuellement dans la zone de transit de l'aéroport de Moscou, selon les autorités russes. L'information doit toutefois être confirmée. Le fugitif a déposé une demande d'asile politique dans 21 pays, parmi lesquels figure la Bolivie. À son retour sur le continent, le Président Morales s'est dit « prêt à examiner sa demande ».

article rédigé par Marion Roussey, publié sur le Journal International

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