dimanche 27 avril 2014

Réparateur de conflits nocturnes


Il travaille comme correspondant de nuit, un métier difficile et pas toujours bien perçu. Vêtu de son gilet jaune, Claude fait la tournée des logements pour résoudre les conflits. À Villejean, le principal problème pour lui vient de la peur et de la solitude. Deux sentiments que l’ancien enfant-soldat a appris à côtoyer avant de quitter le Congo à l’âge de quatorze ans pour venir vivre en France.

 
Assis sur un fauteuil, casquette aux couleurs militaires et blouson noir, il a le regard fixé vers la porte d’entrée. Dans la grande salle de la Maison de quartier de Villejean résonnent les cris d’enfants et les conversations d’adultes. Ce soir, Claude a posé son uniforme jaune et repris sa casquette de père. Son fils ainé de quatorze ans s’éternise en remplissant ses fonctions de délégué au conseil de classe. Il l’attend. Certains habitants du quartier viennent le saluer. Le correspondant de nuit a vécu de nombreuses années à Villejean et connait beaucoup de monde ici. Des personnes qu’il rencontre la journée mais aussi durant son travail nocturne, au cours de ses visites dans les tours de logements sociaux.
 
Médiateur de nuit et entraîneur sportif de jour, Claude ne reste jamais inactif - Crédit photo : Grégoire de Chabalier

Rondes de nuit

Depuis 1997, Claude travaille comme correspondant de nuit. Employé par Optima médiation, une association basée à Vezin-le-Coquet depuis 1993, son rôle consiste à gérer les conflits entre voisins mais aussi à intervenir auprès des personnes en difficultés. « Il faut aimer les autres pour faire ce boulot et être à l’écoute pour pouvoir les aider », explique-t-il, le regard franc. Plusieurs jours par semaine de 17h15 à minuit passé, il allume son téléphone professionnel et attend avec son équipe les appels d’habitants des cinq quartiers d’intervention : le Blosne, Bréquigny, Maurepas, Patton et Villejean.

Financée par le Service de prévention de la délinquance et de la médiation de la ville de Rennes, Optima médiation travaille en partenariat avec la mairie mais aussi avec quatre bailleurs sociaux et les douze mille locataires concernés qui paient également une partie des charges. « En général, on est montré du doigt parce qu’on porte un uniforme jaune, explique Claude. Les gens peuvent devenir agressifs. Ils ne se rendent pas compte qu’en insultant l’uniforme, c’est la personne qui le porte qu’ils visent. » Le travail est parfois dangereux. Il nécessite une force psychologique pour ne pas se laisser submerger par les sentiments. « Chaque jour, chaque soir, on est confronté à de nouvelles situations à régler. »

Debout, ses yeux noirs fixés au loin, il raconte les fois où il a dû venir apaiser une dispute de couple ou écouter un voisin se vider des souffrances de son passé. Solitude, alcoolisme, violences conjugales ou trafics de drogue, les correspondants de nuit doivent gérer différents types de conflits. Ils remplacent les agents de sécurité, à la seule différence qu’eux interviennent sans arme. « L’idée n’est pas mauvaise, défend Claude. Cela permet de décharger les policiers opérant parfois en sous-effectif. » Pour cette mission, le médiateur gagne 1 300€ net par mois en plus d’un panier repas. Il reconnaît ne pas avoir à se plaindre de son travail, lui qui, venu d’Afrique, « n’a pas toujours eu la vie facile ».
 
« Chaque jour, chaque soir, on est confronté à de nouveaux conflits » - Crédit photo : Grégoire de Chabalier

Débrouille-toi pour survivre

Pour venir en France, il lui a fallu quitter sa famille et entrer illégalement en Europe en passant par l’ex-Yougoslavie. « Aujourd’hui je me dis que j’étais trop jeune pour comprendre réellement ce que je faisais. » Cette décision, il l’a en effet prise sans trop hésiter, après dix-huit mois passés en Angola à servir les troupes rebelles comme enfant-soldat. Triant ses souvenirs, il raconte comment son passé de guerre a influencé sa vie rennaise.

Né en République démocratique du Congo, lui et sa famille ont vu la situation se dégrader et le principe du "sauve-qui-peut" s’appliquer lorsque les colons ont quitté le pays. À la mort de son beau-père, sa mère a perdu son emploi de pharmacienne et lui a dû chercher du travail. « On nous disait que depuis l’Angola, il était plus facile de rejoindre l’Europe », argumente-t-il. Mais une fois passée la douane, le climat a changé. Ici le pays était en guerre et des troupes rebelles préparaient des attaques contre l’armée.

Arrêté à la frontière pour « sa peau de métis jugée trop blanche », il est devenu enfant-soldat. « C’est la première fois que j’entendais des coups de feu, se souvient-il en reproduisant une lueur de panique dans le regard. Ils nous ont donné des sacs à porter sur le dos et nous ont dit de les suivre. » Quand les troupes entraient dans les villages, lui et les autres enfants avaient l’ordre de ramasser ce que les rebelles récupéraient. C’est en profitant d’une embuscade tendue à des camions venus de la capitale que le jeune Congolais, alors âgé de quinze ans, a pu s’échapper. Un choix qui l’a condamné à l’exil.
Avec des faux passeports et des billets-transit à destinations multiples, le fugitif a effectué un long périple à travers l’Europe pour terminer à Paris. Hébergé chez un ami en attendant que sa situation se régularise et qu’il commence à travailler, il avoue avoir souffert en découvrant la vie parisienne : « Je mangeais aux Restos du cœur et je n’avais pas grand-chose pour vivre.»

Vendeur de prospectus puis employé comme agent de sécurité dans les restaurants Quick, c’est ainsi qu’il a rencontré sa femme, « une Bretonne à l’esprit ouvert et au cœur généreux ». Cela fait dix-neuf ans qu’ils vivent ensemble. Après avoir résidé à Villejean, ils sont partis s’installer avec leurs deux enfants à l’Hermitage. Pourtant, ses années noires, il les garde en mémoire. C’est probablement le souvenir de son passé qui rend le médiateur âgé de quarante-trois ans si actif. En dehors de son travail, Claude s’investit aussi dans d’autres activités du quartier.

Le sport, école de vie

 
« Le sport, cela t’apprend aussi comment être » - Crédits photo : Claude Vangu

« Ce qui manque aujourd’hui à Villejean ce sont des équipements sportifs. » Médiateur la nuit, Claude est aussi moniteur de boxe thaïlandaise le jour. Une activité qu’il enseigne à des jeunes "Villejeannais" et qui représente bien plus qu’un sport. « Je ne suis pas là juste pour montrer comment frapper, je suis là pour leur apprendre comment être. » Respecté des élèves, le moniteur doit jongler avec le matériel dont il dispose, ce qui n’est pas toujours évident. Pour lui, Villejean est un quartier qui a beaucoup de structures, comme des maisons vertes ou de quartier, des centres sociaux et des relais. Ces espaces sont là pour inciter les jeunes à ne pas rester sans rien faire. « Les gens ne se rendent pas compte de ce que l’on a en France, souligne-t-il. Dans d’autres pays ce n’est pas comme ça. Si tes parents sont pauvres, ils ne t’envoient pas à l’école. » Pour ce réfugié politique, la France est le pays où il se sent chez lui. « Les gens ici m’ont tellement ouvert les bras, qu’aujourd’hui ce n’est pas le moment de rester inactif. »

article rédigé par Marion Roussey, publié sur France 3 Bretagne

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