mercredi 10 octobre 2012

Manifestations massives en Argentine, en opposition à la réélection de la Présidente



Jeudi 13 septembre au soir, de nombreuses manifestations éclataient dans les principales villes d'Argentine. Rythmée au son des casseroles, la marche avancait à grands bruits et les voix semblaient s'élever à l'unanimité contre la politique menée par Cristina Kirchner, Présidente depuis 2007. 
Opposition à la réélection, dénonciation de l'insécurité, de l'inflation et de la corruption étaient les principaux motifs de la protestation. L'occasion pour les argentins de dresser un bilan sur les mesures économiques et politiques entreprises par le gouvernement ces dernières années.



Il est 19h30 à Buenos Aires et la place de Mayo se remplit peu à peu. Les manifestants se pressent devant la maison rose, munis de banderoles, casseroles et autres objets métalliques afin d'exprimer bruyamment leur mécontentement. Selon la police municipale, ils étaient près de 200 000 dans la capitale. Dans d'autres villes telles que Rosario, Cordoba, Tucuman, Mendoza et Santa Fe, des milliers de personnes avaient elles-aussi répondu à l'appel, lancé uniquement par le biais des réseaux sociaux.

Sur place, aucun sloggan partisan mais une population hétérogène, issue en grande partie de la classe moyenne mais aussi, comme le soulignent les journaux „la nacion“ et „Pagina12“ de jeunes, de femmes et autres profils divers. Quelques personnalités politiques s'étaient également jointes au groupe. Elles indiquaient par leur présence discrète, l'opinion partagée par des partis tels que „Union pour Tous“ et „Péronisme Dissident“. 

La manifestation du 13 septembre n'est pas la première organisée en opposition au gouvernement. Depuis le début du second mandat de Cristina, quatre autres défilés de „cacerolazos“ (les fameuses casseroles, utilisées lors de chacune des manifestations) ont déjà eu lieu, le 31 mai, les 7 et 14 juin ainsi que le 4 septembre. Ces marches prônent les mêmes revendications, d'ordre politique et économique. Or pour le journal „la Nación“, la manifestation du 13 septembre semble être la plus importante depuis celle survenue en 2008, lors de la crise opposant le gouvernement et les agriculteurs. Sur certains sloggans, on lisait même des phrases telles que „non à la dictature“ ou encore „Va rejoindre Nestor“, l'ancien Président et mari défunt de Cristina Kirchner.




Une manifestation contre la réelection et pour la liberté“

Parmi les différents motifs appelant à la manifestation, le plus important était sans aucun doute celui portant sur la réforme constitutionnelle, devant autoriser la réélection de Cristina Kirchner pour un troisième mandat. Issu ni du gouvernement ni du Parlement, le projet émane en réalité d'un texte intitulé „la difference“ et publié en aoùt 2012 par un ensemble d'intellectuels regroupés sous le nom de Carta Abierta. Fondée en 2008 lors du conflit agricole, l'association pro-kirchnerienne voit dans le gouvernement actuel, les bases permettant d'établir une barrière anti-libérale et la création d'un Etat populaire.

En Argentine, cette réforme n'est pas la première tentative. En 1998, l'ancien Président Nestor Kirchner avait déjà imposé la réélection libre au niveau provincial. Trois provinces l'appliquent actuellement, celles de Santa Cruz, de Formosa et de Catamarca, comme le souligne un article paru dans le journal Clarin. Toutefois, pour que le projet soit adopté, il faudra obtenir l'accord des 2/3 des membres des deux chambres du Parlement, condition nécessaire pour modifier la Constitution. En 2011, moins de la moitié des législateurs y étaient favorables et parmi les soutenants de Kirchner – les ultras-K comme les surnomme le même Journal - , “beaucoup affichaient scepticisme et prudence”.

Autre revendication, celle contre la restriction du dollar. En juillet 2012, la Banque Centrale a en effet officiellement interdit l'achat de devises étrangères pour les entreprises. Cette mesure censée lutter contre les importations clandestines dont souffrait le pays, s'étend aussi sous d'autres formes aux particuliers, rendant l'accès aux produits étrangers - que les consommateurs argentins avaient l'habitude d'acheter parfois en dollar - et la mobilité difficiles. Elle s'inscrit dans le cadre des mesures économiques récemment menées par le gouvernement Kirchner et que certains économistes et politologues, tels que Rolendo Astaria et Rosendo Fraga qualifient de „protectionnisme“.

À ces deux oppositions majeures viennent ensuite se greffer d'autres revendications, donnant à l'ensemble hétéroclite une impression de ras-le-bol général. On pouvait voir en effet des slogans dénoncant l'insécurité croissante, l'inflation, galopante depuis la crise économique de 2009 ainsi que la corruption au sein du gouvernement, lequel est notamment accusé par des acteurs privés, partisans de partis de gauche ou de l'institut national de statistiques (INDEC), de falsifier les données concernant l'inflation.

Mesures sociales, protectionnisme économique et nationalisme politique

Élue au premier tour le 28 octobre 2007, Cristina Fernandez de Kirchner est la première femme élue Présidente en Argentine. Poursuivant les mesures entreprises par son mari, elle axe ses démarches vers une politique sociale, expansionniste et redistributive. Le peuple argentin semble la soutenir, marqué par les progrès salutaires permis par son époux pour relever le pays de la crise de 2001. Malgré un double conflit surgi en 2008 avec les producteurs agricoles et le journal Clarin, La Présidente est réélue pour un second mandat en novembre 2001, atteignant 54,11% des voix, soit le meilleur résultat présidentiel depuis l'élection de Péron en 1973.

De centre-gauche, le gouvernement qu'elle dirige a entrepris de nombreuses mesures sociales, en faveur notamment des classes les plus défavorisées, ce qui explique ainsi pour les opposants son succès électoral. Parmi ses mesures les plus populaires, on peut citer la construction de logements en 2011, les aides d'accès aux universités (gratuites en Argentine) et la mise en place en 2009 du programme „football pour tous“, à travers lequel l'État a aquis les droits de retransmission à la télévision du football puis des autres sports. Si ce programme vise à élargir l'accès à la culture, il represente aussi un coût colossal mis à la charge de l'État, 4000 millions de pesos (soit environ 650 millions d'euros) au total selon les déclarations du Journal “La Nacion”.

Cependant, après 10 ans de Kirchnerisme, le paysage électoral s'est modifié et l'euphorie post-crise de 2001 s'est quelque peu dissipée, laissant place à un sentiment de lassitude comme le témoigneraient peut-être les manifestations récemment passées. Un article paru dans le journal nuevamayoria dénonce en effet la tendance protectionniste voire nationaliste vers laquelle la Présidente oriente sa politique. Comme le souligne Rosendo Fraga, les deux types de régimes diffèrent or le passage de l'un à l'autre se fait souvent au moyen d'un simple glissement. Avec d'un côté des mesures de restriction appliquées aux importations, aux investissements étrangers, l'affaire pétrolière avec l'expropriation de la compagnie majoritairement espagnole YPF en avril 2012 et de l'autre, la célébration du 30ème anniversaire du débarquement aux Malwines prononcé le 2 avril, le message de Cristina semble clair : se démarquer du modèle libéral mondial et revaloriser la sentiment d'appartenance argentin.


Les Argentins et la politique


Qualifier le gouvernement de dictature et souhaiter la mort de sa Présidente sont des slogans qui peuvent paraitre osés ou du moins indiquer de fortes tensions sociales. Ils doivent toutefois être replacés dans leur contexte, celui de l'histoire du pays et de l'atmosphère sociale actuelle. Une construction étatique lente et difficile, suivie d'une période de censure imposée par la dictature militaire et un rapport continuellement délicat voire conflictuel avec le voisin nord américain sont autant d'éléments qui ont faconné le rapport qu'ont les argentins avec la politique. Ainsi aujourd'hui, donner son avis, prendre position ou adhérer à un mouvement partisan sont des actes qui semblent faire partie de la vie quotidienne. Rimant avec passion, la politique se fait sentir dans de multiples situations, jusque dans les tribunes de football, entre les suporters de deux équipes rivales. Pied de nez à la censure autrefois connue, les Argentins semblent décidés à faire entendre leur droit d'expression.

 





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